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Enfance : Quand le diagnostic d’autisme n’est qu’une question de chance

petit garçon jouant seul

La France accuse un retard considérable dans le diagnostic et la prise en charge des troubles du spectre de l’autisme (TSA).  Cette difficulté d’accès au diagnostic est mise en lumière à travers le parcours d’un jeune garçon de 9 ans. Lucas* est accueilli dans une unité éducative pour enfants à troubles du comportement. Les adultes qui l’entourent sont démunis face à sa violence, dont personne ne comprend l’origine. Seule une éducatrice perspicace en vient à soupçonner son autisme.

Des symptômes sont interprétés comme des « troubles du comportement »

En 2010, je travaille en service éducatif, dans la prise en charge d’enfants “à troubles du comportement” âgés de 2 à 12 ans. C’est un travail de prévention que j’apprécie. On bosse beaucoup avec les parents, on discute avec eux des difficultés, on évalue ce qui coince, on tente des solutions, des conseils individualisés. On accueille les enfants le mercredi, et parfois pendant les temps scolaires. Les enfants restent 6 mois, un an… Parfois on préconise des orientations, parfois on parvient à proposer des choses suffisantes, et la famille continue son chemin.

C’est dans ce contexte que je rencontre Lucas, 9 ans, qui pose pas mal de problèmes à l’école : il semble motivé, s’investit et réussit. Mais de plus en plus souvent, il a l’air absent et se fiche de tout. Quand son instit tente de comprendre, il est dédaigneux avec lui. Il n’y a pas de retard dans les apprentissages : Lucas est tout à fait capable de ne rien faire pendant plusieurs semaines, puis il rattrape immédiatement les autres. Ce qui coince surtout, ce sont des explosions de violence. Il peut passer, en quelques minutes, d’un comportement calme et réservé à une agressivité extrême, faisant tout voler autour de lui. Dernièrement, il a jeté une chaise au milieu de la classe. Cela a déclenché l’orientation : à l’école, on ne sait pas gérer ça.

La procédure d’accueil se met en place : réunion avec la mère  et l’assistante sociale, réunion à l’école. Personne n’y comprend rien, et tout le monde veut sincèrement aider le jeune garçon. A aucun moment, nous n’entendons de dénigrement, ni de critique envers Lucas ou sa mère. L’école est ok pour s’adapter si nécessaire, mais personne ne trouve comment. Pour l’instant, nous non plus. La mère est sensée dans ses positions éducatives, le gamin n’est pas culpabilisé, malgré ses comportements. Une vraie bienveillance, centrée sur le devenir de Lucas.

Des attitudes inhabituelles provoquent des difficultés sociales

On réalise rapidement que quelque chose coince. Quand on accueille Lucas parmi une dizaine d’autres gamins, c’est compliqué. Il ne semble pas trouver d’intérêt à jouer avec eux. Il peut prendre un vélo et faire des tours de cour, comme les autres : on pourrait croire qu’il est intégré à la bande. Mais on réalise vite qu’il ne participe pas à la course organisée, il roule, c’est tout. Malheur à celui qui vient le critiquer. D’ailleurs, il se retire vite de ce genre d’activités. On le voit la mine sombre, isolé, en difficulté pour communiquer : on ne comprend jamais la raison de sa colère. On retrouve le côté caustique décrit par l’école, ses mots sont teintés de mépris. Quelque part je le comprends : il semble avoir une intelligence différente des autres enfants. Pas que ceux-ci soient bêtes, mais Lucas, c’est autre chose.

Parfois, il s’isole sous la table basse du salon. Allongé sur le tapis, il reprend son calme progressivement. Je profite de ces moments pour discuter avec lui. Je m’allonge à distance respectable, et je lui demande comment il se sent, s’il pense pouvoir rejoindre les autres. “Oui, mais pas tout de suite”, me dit-il. On reste là, on échange quelques mots, il me dit qu’il se sent bien, que c’est paisible. Je suis d’accord, personne ne vient nous interrompre. Je lui explique qu’on essaye de le comprendre, il me dit que personne n’y arrive, et je ne sais trop quoi ajouter.

enfant se tenant la tête dans les mains

Autre lieu problématique, la cantine, particulièrement bruyante, puisqu’elle accueille les enfants de trois établissements adjacents. Au niveau alimentaire, on demande à chacun de goûter un peu de tout, mais avec Lucas, ça ne passe pas.  C’est une épreuve insurmontable. Il refuse catégoriquement certains aliments dans son assiette, comme si on tentait de l’empoisonner. Après quelques tentatives, on le laisse  finalement manger ce qu’il veut. Encore une fois je le comprends : moi et la nourriture, c’est chaotique, il y a des choses dont la texture ou l’odeur me dégoûtent.

​Au fil des accueils, je noue un lien particulier avec Lucas : j’ai l’impression de savoir ce qu’il ressent la plupart du temps. De son côté, il accepte plus facilement ma proximité que celles de mes collègues. Mais il s’en prend aussi plus facilement à moi : il jette mes clefs et mes affaires par terre, d’un air de défi. Lorsque je tente de poser le cadre (ce que je sais très bien faire d’habitude), je me heurte à une telle résistance que mon collègue intervient, de peur que Lucas ne me frappe. Suite à ces épisodes, c’est toujours vers moi qu’il revient : il s’assoit à proximité, attend que je l’intègre à mon activité ou que je m’intéresse à lui d’une façon ou d’une autre.

Le décodage des symptômes permet le diagnostic

Toutes ces observations ne nous mènent pourtant nulle part. Notre service est là pour intervenir dans des dysfonctionnements familiaux repérés. On n’en repère aucun, on reste au stade de l’incompréhension. Qu’est ce qui pourrait aider ce gosse ? Si on n’a pas de réponse, qui peut en avoir ? L’école a beau être bienveillante, le jour où Lucas se mettra à taper tout le monde, ça n’ira pas. La mère est très démunie, elle ne va pas bien : plus le temps passe, plus elle culpabilise.

Un matin, ma collègue m’expose une explication plausible. “J’ai pas mal réfléchi, pour Lucas. Je me demande s’il ne pourrait pas être autiste.” Ça ne correspond pas à la vague idée que j’ai de l’autisme, que je conçois plus avec déficience intellectuelle. Ma collègue me parle alors du syndrome d’Asperger. “Il n’y a pas de déficience, au contraire. Plus j’y pense, plus je trouve que ça colle. Il a plein de signes. Le truc c’est que je ne suis pas spécialiste, mais y’a longtemps, j’ai bossé avec quelques Asperger. Il faut que je la joue finement, pour que la psychiatre m’écoute. Si j’ai raison, il existe des choses pour aider Lucas, il n’a rien à faire ici.  Ses troubles, c’est pas des troubles du comportement. Tout le monde a fait fausse route jusqu’à maintenant. Il a neuf ans. C’est long neuf ans…”

Ma collègue parvient à convaincre la psychiatre, qui accepte que Lucas passe des tests. Puis sa mère reste un moment dans le bureau de notre chef.  Elle sort enfin, en larmes. Elle s’assoie avec nous, et entre deux sanglots, dit : je suis soulagée, ce n’est pas ma faute”. On reste avec elle en silence, jusqu’à ce qu’elle se calme. Ma collègue lui affirme qu’elle n’a pas à se sentir coupable, qu’elle fait tout ce qu’il faut. Elle ne pouvait pas savoir que son fils est autiste.  Maintenant, même si le chemin est long, elle obtiendra des aides adaptées.

Le diagnostic d’autisme ne doit pas dépendre d’un coup de chance

Aujourd’hui, Lucas a 20 ans, et je n’ai aucune idée de ce qu’il est devenu.  Je pense souvent à lui, et plus encore depuis que j’ai compris que je connais bien mieux l’autisme que je ne le pensais.

Ce que je sais et qui me rend amère pour bien d’autres enfants, c’est que Lucas a eu beaucoup de chance. Car neuf ans pour détecter son autisme, c’est malheureusement une chance.

L’école de Lucas était profondément bienveillante, et n’a jamais cherché à se débarrasser d’un élève difficile à gérer. Elle n’a pas interpellé les services sociaux sous l’angle de l’Information Préoccupante, mais a fait le lien entre famille et service d’aide, sans jamais culpabiliser la mère. L’assistante sociale a elle aussi cherché à aider Lucas. Elle ne l’a, miraculeusement, ​pas orienté vers un CMPP d’obédience psychanalytique, mais plutôt vers notre service. Par hasard, dans ce service, travaillait une éduc attentive et concernée, qui de plus connaissait un peu l’autisme, et qui s’est creusé les méninges pour comprendre et relier tout ce qu’elle voyait.

Que personne ne s’y trompe : si Lucas a été diagnostiqué sans passer par les cases « Information Préoccupante », « Placement »,  ou « Déscolarisation », si on a pas reproché à sa mère d’être un parent inapte à éduquer son enfant, c’est bel et bien de la chance, et non le résultat d’un système inclusif et bienveillant.

*Le prénom a été modifié

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2 réflexions au sujet de “Enfance : Quand le diagnostic d’autisme n’est qu’une question de chance”

  1. Merci.
    On pourrait changer le prénom du petit garçon, et le remplacer par celui de mon fils de 8 ans, tout juste diagnostiqué TSA. Ce paradoxe, quand on l’annonce à un quelqu’un qui s’excuse : « oh non, je suis désolé ! » alors que pour nous, parents, mettre enfin des mots sur des années d’errance est un profond soulagement.

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