
Quels sont les rouages de l’emprise, quel est l’impact sur les victimes ? Pourquoi il peut sembler impossible de renoncer à une relation même quand elle nous fait mal ? Les personnes autistes sont plus vulnérables aux relations toxiques et manipulatoires. Pour les victimes, comme pour les personnes aidantes, comprendre l’emprise, et surtout la notion de cycle, peut aider à prendre un recul salvateur. L’emprise est un piège dont on a besoin de réaliser les mécanismes pour s’éloigner du jugement, se sentir légitime et pouvoir avancer.
- Une vulnérabilité accrue dans l’autisme
- Où s’exerce l’emprise ?
- Le cycle de l’emprise
- Les différentes phases du cycle de l’emprise
- La lune de miel, au centre du mécanisme d’emprise
- Un éternel recommencement
- La fausse bonne idée de la médiation
- Briser le cycle, un défi personnel et social
- Infographies
- Tests : ma relation est-elle toxique ?
Une vulnérabilité accrue dans l’autisme
De nombreuses personnes autistes ont intégré, depuis l’enfance, un discours toxique à base de “t’es trop”, “t’es pas assez”, “fais un effort”, “t’es bizarre”. Quel meilleur terreau pour une estime de soi dégradée, cible parfaite pour les manipulateurices ? Quand on a appris depuis l’enfance à douter de sa propre valeur, on devient une cible facile.
Quand on a été isolé·e et rejeté·e, la première personne qui arrive avec de l’attention et des compliments nous parait tellement compréhensive qu’on pourrait tout lui pardonner. L’emprise tape encore plus fort chez une personne qui a rarement connu la reconnaissance ou la validation.
Beaucoup d’autistes apprennent à obéir, à se conformer, à ne pas faire de vagues, à entrer dans la norme. Oui, la fameuse capacité de masking, acquise au péril de notre santé mentale, est du pain -béni : une personne qui s’excuse, qui se remet en question, qui encaisse et se conforme aux attendus a exactement le profil qu’on peut coincer dans une machine à laver relationnelle.
Les difficultés de lecture sociale inhérentes à l’autisme viennent renforcer la problématique : Les signaux implicites, les sous-entendus, les intentions restent cachés à nos yeux. C’est exactement là que les prédateurices s’infiltrent : dans le flou et le “non-dit”.
Les personnes autistes ne sont pas forcément beaucoup plus faibles que d’autres devant la manipulation. Elles sont surtout rendues plus vulnérables par un cocktail de discrimination, d’isolement, et de conditionnement.
Les différentes situations de dépendance ne font qu’ajouter une difficulté supplémentaire : difficile de se passer de quelqu’un qui aide, ou d’un emploi quand on est précaire, d’un groupe social quand on est isolé.
Où s’exerce l’emprise ?
On a tendance à ne parler d’emprise que dans les relations de couple. C’est une réalité, car le couple est la relation fermée et intime par excellence. Cependant, on peut retrouver des situations d’emprises dans toutes les formes de relations interpersonnelles, par exemple : Famille, amies proches, travail (boss et/ou collègue, culture d’entreprise envahissante…), internet et réseaux sociaux , groupes sectaires et idéologiques.
Le cycle de l’emprise
L’emprise est un mécanisme de domination psychologique. Ce n’est pas un hasard, c’est une stratégie visant à maintenir une personne dans un état de domination et de dépendance. C’est une machine à laver l’esprit : Les personnes victimes d’emprise n’ont plus la capacité de recul nécessaire pour analyser leur situation. La parole de leur agresseureuse devient alors le seul point de vue sur ce qui leur arrive.

Les différentes phases du cycle de l’emprise
La lune de miel
Cette phase sert à installer la dépendance. L’auteur·e de l’emprise se montre séduisant·e, charmant·e, généreux·se. Les attentions, les compliments, les promesses pleuvent. En réalité, cette surabondance de “preuves d’amour” est une stratégie pour installer le lien et rendre plus difficile toute remise en question.
Le climat de tension
Une fois la relation bien ancrée, le ton change. Les critiques apparaissent, parfois sous couvert de conseils ou de petites remarques. La victime cherche à éviter les conflits, à s’adapter pour conserver la relation intacte. Progressivement, elle vit dans l’anticipation et développe une hypervigilance. Le climat est tendu, mais pas encore ouvertement violent.
La crise / l’explosion
C’est le moment où la violence apparaît. Elle peut être verbale (insultes, menaces), psychologique (humiliations, isolement), économique (privation de ressources) ou physique. Cette phase marque un pic de domination : elle écrase, fait peur, et désoriente. Pour l’entourage, c’est souvent la partie la plus visible, mais pour la victime, c’est l’aboutissement d’un processus déjà long.
La justification / le retour au calme
Après l’explosion, l’agresseur fait tout pour maintenir la relation. Cela passe par les excuses, la minimisation, l’inversion des rôles et les promesses de renouveau. C’est une étape clé pour garder la victime sous contrôle, avec l’espoir que la relation change.
Et le cycle recommence. Chaque retour au calme installe l’idée que la relation peut être “sauvée”, alors qu’il s’agit d’un mécanisme de contrôle qui se répète.

Dans d’autres contextes que le couple
Lune de miel : Lea proche est extrêmement attentionné·e, protecteurice, voire étouffante, ou incarne l’ami·e parfait·e, toujours présente·e. Au travail, ça peut être un collègue ou un manager qui promet des opportunités, ou se positionne en mentor bienveillant. Dans les contextes idéologiques ou sectaires, les communautés, c’est l’accueil et la reconnaissance, le sentiment d’appartenance à un groupe qui sont renforcés.
Climat de tension : La personne proche critique systématiquement, impose ses jugements, fait usage de pression, de chantage affectif. Au travail, on voit apparaître des remarques dévalorisantes, des objectifs irréalisables. Dans les groupes idéologiques, on met en garde la victime contre les dangers extérieurs, tout en lui rappelant à quelles règles elle doit se conformer.
Crise / explosion : Selon la nature de la relation, toutes formes de violence explicite : disputes violentes, humiliations, punitions psychologiques ou financières, insultes, menaces de rupture du lien, divulgation de secrets. Au travail, humiliations publiques, menaces de sanction ou de licenciement, mise à l’écart. Dans un contexte sectaire, des menaces spirituelles peuvent s’ajouter.
Justification / retour au calme Dans les relations interpersonnelles, on voit apparaître des excuses partielles (“je fais ça parce que je t’aime”), de la minimisation (“t’exagères, je ne suis pas si dur·e”), un retour « à la norme » comme si de rien n’était. Au travail, les compliments reviennent, assorties de petites gratifications. On explique la crise par le contexte économique, par exemple. Dans les groupes idéologiques, on réintègre la victime, on lui dit qu’on lui laisse une chance tout en maintenant la pression.
Dans tous les contextes, le mécanisme reste le même et maintient la victime dans un cycle destiné à la rendre incapable de prendre ses distances.
La lune de miel, au centre du mécanisme d’emprise
Dans le couple, la “lune de miel” brouille particulièrement les cartes. Après une explosion, l’agresseur peut redevenir tendre, attentionné, voire débordant d’amour. La victime s’accroche à cette accalmie et y voit la preuve que la relation peut encore s’améliorer.
C’est à ce moment-là que les proches doivent rester vigilants : encourager la réconciliation ou se laisser berner par cette façade revient, sans le vouloir, à renforcer l’emprise.
La phase de lune de miel n’est pas un signe de changement durable, mais un mécanisme pour prolonger le cycle. Derrière l’apparente douceur, c’est une stratégie de contrôle qui isole la victime et rend son départ encore plus difficile.

Dans d’autres contextes que le couple
Cette “lune de miel” prend des formes différentes mais repose sur la même logique : au travail, le supérieur hiérarchique félicite soudainement après une période d’humiliation, renforçant l’idée que “tout peut s’arranger” si l’on se plie aux règles. Dans une amitié toxique, l’ami·e redevient attentionné·e et complice, et fait douter de la gravité de ce qui s’est passé. Dans les groupes sectaires ou idéologiques, c’est le moment où on réintègre la chaleur du collectif, donnant l’impression que la faute est pardonnée (à condition de se soumettre).
Dans tous les cas, la réconciliation apparente est une manœuvre : elle ne vise pas à réparer, mais à renforcer la mainmise et à rendre la prochaine rupture encore plus difficile.
Un éternel recommencement
« Pourquoi tu ne pars pas ? »
C’est souvent au moment où la victime tente de s’éloigner que le risque est le plus élevé. L’agresseur, sentant son emprise menacée, redouble de violences, de menaces ou au contraire de promesses de changement.
Cette intensification est précisément ce qui rend la séparation si complexe : face à la peur de représailles ou à l’illusion d’un véritable “nouveau départ”, la victime doute, culpabilise et peut être tentée de revenir en arrière.
Les proches doivent garder en tête que ce danger accru ne signifie pas que la séparation est une erreur, mais qu’elle met à nu la réalité de l’emprise : l’agresseureuse ne supporte pas de perdre le contrôle.

Dans d’autres contextes que le couple
Famille, ami·es : Quand une personne cherche à s’éloigner d’un·e proche toxique, on assiste souvent à des multiples réactions : chantage affectif, culpabilisation (“après tout ce que j’ai fait pour toi”), menaces ou de tentatives de discrédit auprès du cercle commun.
Travail : Dans un cadre professionnel, demander une mutation, un changement de poste ou poser une démission peut déclencher des représailles : pressions hiérarchiques, menaces de mauvaise réputation, isolement dans l’équipe…
Groupes : Le départ d’un groupe entraîne des menaces, de la culpabilisation spirituelle (“tu seras perdu sans nous”), voire des représailles sociales (exclusion, rejet public, coupure d’avec la communauté).
La fausse bonne idée de la médiation
La médiation, souvent proposée comme solution bienveillante, dans le cercle amical comme professionnel, est une arnaque dans les situations d’emprise. Elle suppose que les deux parties sont sur un pied d’égalité et capables de discuter sans se nuire. Spoiler : c’est jamais le cas.
L’agresseur contrôle tout, manipule les faits, culpabilise et se victimise si ça peut jouer en sa faveur. La médiation est une occasion en or de renforcer son contrôle, retourner la situation et faire passer la victime pour la fautive.
Proposer une médiation, c’est mettre la victime en danger, et occasionner un face à face délétère avec son agresseur

Briser le cycle, un défi personnel et social
Quitter un auteur d’emprise, ce n’est jamais juste “partir”. C’est perdre un rôle, un statut, un cercle : le conjoint, le collègue incontournable, l’ami proche… Dans tous les contextes, la séparation entraîne une vraie perte identitaire.
Avec ce vide, vient le risque de rejet : critiques, , coupure des liens avec ceux qui restent sous influence de l’agresseur, isolement social et/ou familial, difficultés professionnelles.
Comprendre cette dimension sociale et identitaire est essentiel pour soutenir quelqu’un qui tente de s’éloigner : ce n’est pas qu’une question de “volonté”, mais aussi une question de reconstruction complète.

La société adore la stabilité. Dans le couple, au travail ou même entre amis, il existe une pression constante à “tenir bon”, à ne pas faire de vague, à préserver les apparences. Les proches, souvent bien intentionnés, peuvent encourager à rester : “vous allez vous réconcilier”, “ça va s’arranger”, “faut pas tout casser pour si peu”.
Pour une personne sous emprise, cette pression sociale agit comme un piège. Elle se sent coupable de vouloir partir, doute de sa décision et minimise la gravité des violences ou des manipulations subies. Elle peut aussi subir le rejet, car elle est la personne qui pointe les dysfonctionnements que le reste du groupe social préfère ignorer.
Même dans des contextes non romantiques, cette injonction à maintenir l’ordre et la stabilité renforce l’isolement et rend l’éloignement beaucoup plus difficile.
Infographies
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Tests : ma relation est-elle toxique ?
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