Autisme et relations toxiques : Comprendre l’impact du cycle de l’emprise

une femme a la tête et le haut du corps pris dans une cage à oiseaux

Quels sont les rouages de l’emprise, quel est l’impact sur les victimes ? Pourquoi il peut sembler impossible de renoncer à une relation même quand elle nous fait mal ? Les personnes autistes sont plus vulnérables aux relations toxiques et manipulatoires. Pour les victimes, comme pour les personnes aidantes, comprendre l’emprise, et surtout la notion de cycle, peut aider à prendre un recul salvateur. L’emprise est un piège dont on a besoin de réaliser les mécanismes pour s’éloigner du jugement, se sentir légitime et pouvoir avancer.

  1. Une vulnérabilité accrue dans l’autisme
  2. Où s’exerce l’emprise ?
  3. Le cycle de l’emprise
  4. Les différentes phases du cycle de l’emprise
  5. La lune de miel, au centre du mécanisme d’emprise
  6. Un éternel recommencement
  7. La fausse bonne idée de la médiation
  8. Briser le cycle, un défi personnel et social
  9. Infographies
  10. Tests : ma relation est-elle toxique ?

Une vulnérabilité accrue dans l’autisme

De nombreuses personnes autistes ont intégré, depuis l’enfance, un discours toxique à base de “t’es trop”, “t’es pas assez”, “fais un effort”, “t’es bizarre”. Quel meilleur terreau pour une estime de soi dégradée, cible parfaite pour les manipulateurices ? Quand on a appris depuis l’enfance à douter de sa propre valeur, on devient une cible facile.

Quand on a été isolé·e et rejeté·e, la première personne qui arrive avec de l’attention et des compliments nous parait tellement compréhensive qu’on pourrait tout lui pardonner. L’emprise tape encore plus fort chez une personne qui a rarement connu la reconnaissance ou la validation.

Beaucoup d’autistes apprennent à obéir, à se conformer, à ne pas faire de vagues, à entrer dans la norme. Oui, la fameuse capacité de masking, acquise au péril de notre santé mentale, est du pain -béni : une personne qui s’excuse, qui se remet en question, qui encaisse et se conforme aux attendus a exactement le profil qu’on peut coincer dans une machine à laver relationnelle.

Les difficultés de lecture sociale inhérentes à l’autisme viennent renforcer la problématique : Les signaux implicites, les sous-entendus, les intentions restent cachés à nos yeux. C’est exactement là que les prédateurices s’infiltrent : dans le flou et le “non-dit”.

Les personnes autistes ne sont pas forcément beaucoup plus faibles que d’autres devant la manipulation. Elles sont surtout rendues plus vulnérables par un cocktail de discrimination, d’isolement, et de conditionnement.

Les différentes situations de dépendance ne font qu’ajouter une difficulté supplémentaire : difficile de se passer de quelqu’un qui aide, ou d’un emploi quand on est précaire, d’un groupe social quand on est isolé.


Où s’exerce l’emprise ?

On a tendance à ne parler d’emprise que dans les relations de couple. C’est une réalité, car le couple est la relation fermée et intime par excellence. Cependant, on peut retrouver des situations d’emprises dans toutes les formes de relations interpersonnelles, par exemple : Famille, amies proches, travail (boss et/ou collègue, culture d’entreprise envahissante…), internet et réseaux sociaux , groupes sectaires et idéologiques.


Le cycle de l’emprise

L’emprise est un mécanisme de domination psychologique. Ce n’est pas un hasard, c’est une stratégie visant à maintenir une personne dans un état de domination et de dépendance. C’est une machine à laver l’esprit : Les personnes victimes d’emprise n’ont plus la capacité de recul nécessaire pour analyser leur situation. La parole de leur agresseureuse devient alors le seul point de vue sur ce qui leur arrive.

Le cycle de l'emprise, aussi appelé cycle de la violence dans les contextes conjugaux, montre les processus répétitifs permettant à l'agresseur de maintenir sa domination. Ce modèle explique comment la victyime est amenée à renouveler sa confiance régulièrement malgré ce qu'elle subit. L'enchaînement des différentes phases anéantit la capacité de la victime à reprendre le contrôle de la situation.

Les différentes phases du cycle de l’emprise

La lune de miel


Cette phase sert à installer la dépendance. L’auteur·e de l’emprise se montre séduisant·e, charmant·e, généreux·se. Les attentions, les compliments, les promesses pleuvent. En réalité, cette surabondance de “preuves d’amour” est une stratégie pour installer le lien et rendre plus difficile toute remise en question.

Le climat de tension


Une fois la relation bien ancrée, le ton change. Les critiques apparaissent, parfois sous couvert de conseils ou de petites remarques. La victime cherche à éviter les conflits, à s’adapter pour conserver la relation intacte. Progressivement, elle vit dans l’anticipation et développe une hypervigilance. Le climat est tendu, mais pas encore ouvertement violent.

La crise / l’explosion


C’est le moment où la violence apparaît. Elle peut être verbale (insultes, menaces), psychologique (humiliations, isolement), économique (privation de ressources) ou physique. Cette phase marque un pic de domination : elle écrase, fait peur, et désoriente. Pour l’entourage, c’est souvent la partie la plus visible, mais pour la victime, c’est l’aboutissement d’un processus déjà long.

La justification / le retour au calme


Après l’explosion, l’agresseur fait tout pour maintenir la relation. Cela passe par les excuses, la minimisation, l’inversion des rôles et les promesses de renouveau. C’est une étape clé pour garder la victime sous contrôle, avec l’espoir que la relation change.

Et le cycle recommence. Chaque retour au calme installe l’idée que la relation peut être “sauvée”, alors qu’il s’agit d’un mécanisme de contrôle qui se répète.

image d'illustration, texte identique à celui de l'article

Dans d’autres contextes que le couple

Lune de miel : Lea proche est extrêmement attentionné·e, protecteurice, voire étouffante, ou incarne l’ami·e parfait·e, toujours présente·e. Au travail, ça peut être un collègue ou un manager qui promet des opportunités, ou se positionne en mentor bienveillant. Dans les contextes idéologiques ou sectaires, les communautés, c’est l’accueil et la reconnaissance, le sentiment d’appartenance à un groupe qui sont renforcés.

Climat de tension : La personne proche critique systématiquement, impose ses jugements, fait usage de pression, de chantage affectif. Au travail, on voit apparaître des remarques dévalorisantes, des objectifs irréalisables. Dans les groupes idéologiques, on met en garde la victime contre les dangers extérieurs, tout en lui rappelant à quelles règles elle doit se conformer.

Crise / explosion : Selon la nature de la relation, toutes formes de violence explicite : disputes violentes, humiliations, punitions psychologiques ou financières, insultes, menaces de rupture du lien, divulgation de secrets. Au travail, humiliations publiques, menaces de sanction ou de licenciement, mise à l’écart. Dans un contexte sectaire, des menaces spirituelles peuvent s’ajouter.

Justification / retour au calme Dans les relations interpersonnelles, on voit apparaître des excuses partielles (“je fais ça parce que je t’aime”), de la minimisation (“t’exagères, je ne suis pas si dur·e”), un retour « à la norme » comme si de rien n’était. Au travail, les compliments reviennent, assorties de petites gratifications. On explique la crise par le contexte économique, par exemple. Dans les groupes idéologiques, on réintègre la victime, on lui dit qu’on lui laisse une chance tout en maintenant la pression.

Dans tous les contextes, le mécanisme reste le même et maintient la victime dans un cycle destiné à la rendre incapable de prendre ses distances.


La lune de miel, au centre du mécanisme d’emprise

Dans le couple, la “lune de miel” brouille particulièrement les cartes. Après une explosion, l’agresseur peut redevenir tendre, attentionné, voire débordant d’amour. La victime s’accroche à cette accalmie et y voit la preuve que la relation peut encore s’améliorer.

C’est à ce moment-là que les proches doivent rester vigilants : encourager la réconciliation ou se laisser berner par cette façade revient, sans le vouloir, à renforcer l’emprise.

La phase de lune de miel n’est pas un signe de changement durable, mais un mécanisme pour prolonger le cycle. Derrière l’apparente douceur, c’est une stratégie de contrôle qui isole la victime et rend son départ encore plus difficile.

La lune de miel est aussi une phase dangereuse. Une réconciliation apparente souvent encouragée par les proches est une occasion pour l'agresseur d'étendre sa domination. C'est la phase ou la victime doute d'elle-même, où elle investi toute son énergie dans la relation. L'agresseur utilise cette étape de rapprochement pour isoler la victime des proches qui ont pu la soutenir.

Dans d’autres contextes que le couple

Cette “lune de miel” prend des formes différentes mais repose sur la même logique : au travail, le supérieur hiérarchique félicite soudainement après une période d’humiliation, renforçant l’idée que “tout peut s’arranger” si l’on se plie aux règles. Dans une amitié toxique, l’ami·e redevient attentionné·e et complice, et fait douter de la gravité de ce qui s’est passé. Dans les groupes sectaires ou idéologiques, c’est le moment où on réintègre la chaleur du collectif, donnant l’impression que la faute est pardonnée (à condition de se soumettre).

Dans tous les cas, la réconciliation apparente est une manœuvre : elle ne vise pas à réparer, mais à renforcer la mainmise et à rendre la prochaine rupture encore plus difficile.


Un éternel recommencement

« Pourquoi tu ne pars pas ? »

C’est souvent au moment où la victime tente de s’éloigner que le risque est le plus élevé. L’agresseur, sentant son emprise menacée, redouble de violences, de menaces ou au contraire de promesses de changement.

Cette intensification est précisément ce qui rend la séparation si complexe : face à la peur de représailles ou à l’illusion d’un véritable “nouveau départ”, la victime doute, culpabilise et peut être tentée de revenir en arrière.

Les proches doivent garder en tête que ce danger accru ne signifie pas que la séparation est une erreur, mais qu’elle met à nu la réalité de l’emprise : l’agresseureuse ne supporte pas de perdre le contrôle.

Le cycle de l'emprise est immuable. Chaque phase peut durer de plusieurs jour à plusieurs mois. Le cycle est moins flagrant lorsqu'il est étalé dans le temps mais il est toujours présent et se reproduit jusqu'à ce que la victime parvienne à se protéger. La séparation n'est pas suffisante et constitue une phase de danger accru.

Dans d’autres contextes que le couple

Famille, ami·es : Quand une personne cherche à s’éloigner d’un·e proche toxique, on assiste souvent à des multiples réactions : chantage affectif, culpabilisation (“après tout ce que j’ai fait pour toi”), menaces ou de tentatives de discrédit auprès du cercle commun.

Travail : Dans un cadre professionnel, demander une mutation, un changement de poste ou poser une démission peut déclencher des représailles : pressions hiérarchiques, menaces de mauvaise réputation, isolement dans l’équipe…

Groupes : Le départ d’un groupe entraîne des menaces, de la culpabilisation spirituelle (“tu seras perdu sans nous”), voire des représailles sociales (exclusion, rejet public, coupure d’avec la communauté).


La fausse bonne idée de la médiation

La médiation, souvent proposée comme solution bienveillante, dans le cercle amical comme professionnel, est une arnaque dans les situations d’emprise. Elle suppose que les deux parties sont sur un pied d’égalité et capables de discuter sans se nuire. Spoiler : c’est jamais le cas.

L’agresseur contrôle tout, manipule les faits, culpabilise et se victimise si ça peut jouer en sa faveur. La médiation est une occasion en or de renforcer son contrôle, retourner la situation et faire passer la victime pour la fautive.

Proposer une médiation, c’est mettre la victime en danger, et occasionner un face à face délétère avec son agresseur

La médiation n'est jamais une solution. Elle en fonctionne que lorsque les différentes parties ont une relation d'égalité mais un désaccord. Dans une relation de contrôle et de domination, participer à une médiation est au contraire pour l'agresseur une occasion de se déresponsabiliser, de justifier de sa bonne volonté et d'entretenir une fausse image de la victime.

Briser le cycle, un défi personnel et social

Quitter un auteur d’emprise, ce n’est jamais juste “partir”. C’est perdre un rôle, un statut, un cercle : le conjoint, le collègue incontournable, l’ami proche… Dans tous les contextes, la séparation entraîne une vraie perte identitaire.

Avec ce vide, vient le risque de rejet : critiques, , coupure des liens avec ceux qui restent sous influence de l’agresseur, isolement social et/ou familial, difficultés professionnelles.

Comprendre cette dimension sociale et identitaire est essentiel pour soutenir quelqu’un qui tente de s’éloigner : ce n’est pas qu’une question de “volonté”, mais aussi une question de reconstruction complète.

Une personne sous emprise n'est pas responsable. elle est victime. L'agresseur utilise ses sentiments et ses émotions pour conserver sa domination. La perception de la situation est altéré, elle peut fuir puis pardonner à plusieurs reprises. elle peut être dans l'incapacité de réagir, même en cas de danger immédiat.

La société adore la stabilité. Dans le couple, au travail ou même entre amis, il existe une pression constante à “tenir bon”, à ne pas faire de vague, à préserver les apparences. Les proches, souvent bien intentionnés, peuvent encourager à rester : “vous allez vous réconcilier”, “ça va s’arranger”, “faut pas tout casser pour si peu”.

Pour une personne sous emprise, cette pression sociale agit comme un piège. Elle se sent coupable de vouloir partir, doute de sa décision et minimise la gravité des violences ou des manipulations subies. Elle peut aussi subir le rejet, car elle est la personne qui pointe les dysfonctionnements que le reste du groupe social préfère ignorer.

Même dans des contextes non romantiques, cette injonction à maintenir l’ordre et la stabilité renforce l’isolement et rend l’éloignement beaucoup plus difficile.

Infographies

  • Le cycle de l'emprise montre comment la relation passe à une phase de tension, à une phase de conflit ouvert, puis une phase de justification, et enfin une lune de miel où tout sembla aller pour le mieux et où la victime fait tout pour réparer la relation.

Pour télécharger les infographies de cet article, cliquer sur le bouton ci-dessous.

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3 réponses à « Autisme et relations toxiques : Comprendre l’impact du cycle de l’emprise »

  1. Avatar de
    Anonyme

    J’ai lu tout cet article parce que, il y a un an ou deux, j’ai brisé une amitié avec une amie que je connaissais depuis 30 ans – depuis qu’on était de jeunes ados. Une situation s’est passée qui a fait que j’ai ENFIN vu, clairement, limpidement, sans détour, son niveau de toxicité envers moi. Et qu’elle ne m’a jamais considérée comme une égale. Entretemps il n’y a plus de lien, plus de contact, et j’efface peu à peu les traces des moments/années les plus douloureuses.

    C’est tout à fait comme décrit: étant autiste, et à l’époque persécutée à l’école par toute ma classe, je me suis tournée vers la première personne rencontrée qui m’acceptait. Et j’ai accepté beaucoup d’étouffement pour ne pas me retrouver toute seule au monde. Avec la venue d’internet, j’ai finalement pu me faire de *vraies* amies (au bout de ma trentaine!)… et ce sont ces amitiés qui m’ont fait comprendre le sens du mot. Ce sens que cette ex-amie n’a jamais compris, car jamais elle n’a cherché à me comprendre.

    Tout au long, j’ai toujours eu ce sentiment que quelque chose clochait, mais je n’ai jamais écouté cette intuition. J’avais trop peur d’être seule. Mieux valait être mal accompagnée. Mais au final, le vrai problème était que je n’avais aucune confiance en moi, aucune valeur à mes propres yeux. C’est ça qui a changé. C’est ça qui m’a permis de la foutre hors de ma vie et d’en reprendre le contrôle. Meilleur choix de cette année-là.

    La peur aime bien nous faire faire des choix néfastes pour nous, mais ce n’est que ça: de l’anxiété. Notre cerveau qui est constamment en overwhelm et qui recherche de la stabilité, même dans la souffrance. Quand on passe outre par contre, c’est là que les miracles se produisent.

    J’espère que tous ceux qui liront cet article (et mon commentaire peut-être) trouveront la force de brises leurs connexions toxiques. Je vous souhaite le meilleur.

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  2. Avatar de
    Anonyme

    Bonjour et merci pour ces publications toujours hyper intéressantes. Je suis ton blog en tant que personne TSA, et (ancienne) victime de violences conjugales. Ce sujet m’intéresse doublement (triplement?) parce que je suis médiatrice familiale et que la question des violences se pose tout le temps dans notre cadre. Pour ma part, je reçois beaucoup de parents séparés et lorsque Mme (souvent) m’explique que malgré les violences elle peut et veut faire la médiation, pour les enfants, pour elle-même, parce qu’elle a des choses à dire etc, j’accepte de la recevoir en médiation. De par ma formation, je suis censée « déceler » l’emprise existante et donc refuser de faire des médiations dans ce contexte. Je questionne toujours les personnes qui me parlent de violence pour vérifier avec elles si elles se sentent ok pour être assises à côté de l’autre parent et parler à « égalité » de leur situation.

    Comme je questionne toujours ma pratique, je me demande s’il y a un moyen, des outils, des signes qui me permettraient de ne pas accepter la médiation même si la personne est ok, car ce serait trop dangereux pour elle. Je suis là pour aider, pas pour remettre une couche de violence…

    Merci à toi

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    1. Avatar de Petite Loutre
      Petite Loutre

      Bonjour ! Je comprends, c’est délicat ! L’article précédent va dans ce cas particulièrement t’intéresser, puisqu’il comporte deux questionnaires (le premier pour les situations moins explicites) et un lien vers un site canadien sur le contrôle coercitif. https://leblogdepetiteloutre.com/2025/09/02/relation-toxique-questionnaire-patriarcat-autisme/ J’aurais quelques documents à te fournir en plus si tu me contactes via le formulaire de la page Brochures pour que je puisse avoir ton mail.

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