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La fatigue dans l’autisme : Niho Willow, graphiste junior

Témoignage #3

Cet article a été initialement publié en mars 2021, dans le cadre du projet « Autisme, l’Aventure Intérieure », mené par Natacha, Nathalie et moi-même.

fille recroquevilée, la tête sur les genous

« Ne nous réduisez pas à être des personnes qui se plaignent, qui manquent de motivation. Ce n’est pas le cas. On dépense juste plus d’énergie, bien plus vite, que la majorité des gens. »

témoignage adolescente autiste sur la fatigue

Niho Willow a 19 ans. Elle a connu un parcours scolaire chaotique, et a été diagnostiquée il y a 2 ans autiste et TDA. Passionnée de design et de graphisme, après un bac en arts appliqués mention TB, et une année de licence en design d’objet, elle a commencé en septembre 2020 un BTS graphiste en alternance.

Elle a accepté de nous donner son point de vue de jeune femme, encore étudiante, sur la fatigue et l’impact sur son quotidien.

Niho Willow publie ses créations sur Instagram

Qu’est-ce que la fatigue pour toi ?

C’est un état constant. Je n’ai pas souvenir, à un moment ou à un autre de ma vie, de ne pas avoir été fatiguée.

C’est l’intensité de la fatigue qui évolue selon mes activités. Ça m’entrave, me gène énormément, m’empêche de faire et surtout d’être ce que je voudrais.

Dans mon quotidien, je n’ai pas conscience d’à quel point je suis épuisée, sauf au moment où je peux enfin me poser : le temps de repos nécessaire pour revenir à un état où je peux fonctionner normalement, est proportionnel à mon degré d’épuisement.

Il m’est difficile de comprendre puis d’exprimer à quel point j’ai besoin de repos. Comme je le perçois mal, je me base sur les réflexions de mes proches pour évaluer mon état et mes besoins. Je n’ai pas de curseur interne.

Quel est l’impact de la fatigue sur ta vie ?

Avant d’avoir mon diagnostic de TSA, c’était d’autant plus complexe. L’impact était énorme. Je dépensais une énergie colossale sans le réaliser, jusqu’à ce que je sois dans l’incapacité de faire quoique ce soit, plusieurs semaines d’affilée.

Cela mettait en péril mes études, mes relations avec les autres, mes loisirs…Je ne savais pas expliquer ou comprendre cette fatigue. C’était très frustrant : je me sentais faible et dévalorisée face aux personnes de mon âge qui semblaient avoir bien plus d’énergie que moi à investir dans leur vie.

fille se tenant la tête dans les mains

Maintenant, la fatigue est expliquée. Je sais mieux répartir mon énergie. Je connais ce qui va me fatiguer, ça me permet de moins subir. J’ai pu me protéger de mon hypersensorialité en mettant en place des adaptations simples : port de casque antibruit, lunettes adaptées.

J’ai régulièrement besoin de m’isoler, et je dose ma quantité d’interactions sociales. Ça ne fonctionne pas toujours, c’est vrai, mais ça minimise l’impact et me laisse plus d’énergie. Par contre, je sais qu’il y a toujours des projets que je dois remettre ou abandonner.

« Je ne peux pas vivre une vie d’ado de mon âge, ça m’est inaccessible. Ces renoncements restent frustrants. »

Quand je suis fatiguée, il m’est difficile de m’exprimer, et de me faire comprendre. Je maîtrise très mal le ton de ma voix. Je donne souvent l’impression d’être agressive sans le vouloir. Je suis globalement ralentie, dans mes mouvements comme dans ma réflexion, et mon niveau de concentration s’effondre.

Ça a un impact important au sein de ma famille, car je me relâche plus à la maison : disputes, incompréhensions.  Au niveau des études, il m’est parfois impossible de rendre les devoirs en temps et en heure.

Il y a surtout une réelle difficulté dans les relations sociales : je peux devenir d’une heure à l’autre  désagréable, agressive et blasée, alors que j’étais motivée et joyeuse l’instant précédent. Pour les gens, c’est très difficile à suivre, et pour moi, c’est quasiment inconscient. 

J’ai rencontré d’énormes difficultés dans le milieu scolaire. Mon dernier établissement, dans l’éducation nationale, celui ou j’ai passé le BAC puis commencé des études supérieures en design, a carrément refusé de mettre en place la moindre adaptation, malgré l’intervention de l’enseignant référent. J’ai dû abandonner mes études, ce qui m’a menée à une dépression.

Aujourd’hui, je suis en alternance en BTS graphisme dans un autre établissement. Ce rythme, une semaine de cours et une semaine d’entreprise, à temps plein, est plutôt intense.

Au niveau scolaire, avec le TDA associé à l’autisme, c’est extrêmement fatiguant de rester concentrée une journée entière. J’ai obtenu des aménagements : dans les matières où j’ai des facilités, je n’ai pas l’obligation d’être en présentiel.

En entreprise, ça se passe bien mais je suis épuisée en fin de journée. J’ai la chance d’avoir la moitié de la semaine en télétravail. Lorsque je suis sur place, mon employeur me laisse m’isoler, me reposer pendant la pause méridienne, voire partir plus tôt  si nécessaire.

Ces adaptations sont vitales pour moi. Elles me permettent tout simplement de poursuivre mes études ; sans ça, ce serait impossible.

Qu’est-ce qui pourrait t’aider à améliorer ta qualité de vie face à la fatigue ?

Il faudrait bien plus informer sur l’autisme et sensibiliser réellement à la fatigue que ça génère. Finalement, le  faire nous-même nous épuise.  On est pas forcément compris ni pris au sérieux.

Ce serait bien plus porteur que ça vienne du corps médical, des professionnels, des politiques, des institutions. On se débat déjà pour essayer de vivre une vie normale.

Expliquer à chaque nouvelle  personne que je rencontre à quel point l’autisme me fatigue et m’empêche de mener ma vie comme je le voudrais, c’est chronophage et source d’incompréhensions. Je donne l’impression de me plaindre. 

Si j’explique en milieu scolaire que, pour chaque projet, je dois mesurer l’énergie que je vais y investir, et établir des priorités, que j’explique qu’un projet ne mérite pas tant d’énergie qu’un autre, je ne suis pas comprise. Je peux passer pour une tire-au-flanc. Mais je n’ai pas les capacités de produire de la qualité, et de tout rendre en temps et en heure, si je ne priorise pas. 

jeune femme endormie sur son ordinateur

Professionnels de tout bord, médecins, professeurs, employeurs, renseignez-vous, diffusez, aidez nous, nous en avons besoin. Acceptez que nous n’ayons pas les mêmes possibilités énergétiques que d’autres, écoutez nos besoins d’aménagements, accompagnez nous dans leur mise en place.

Ne nous réduisez pas à des personnes qui se plaignent, qui manquent de motivation. Ce n’est pas le cas. On dépense juste plus d’énergie, bien plus vite, que la majorité des gens.

Notre entourage direct est sensibilisé, mais dès qu’on sort du cercle familial, c’est la galère. Ce n’est pas normal. Il est possible que l’on s’intègre correctement, dès que notre environnement change de posture, sorte du jugement, et accepte la différence.

Merci à mes proches, mon entourage scolaire et professionnel d’être compréhensifs, de s’adapter, de me soutenir, cela m’aide. Quand on fait ce qu’il faut pour que ça aille mieux, ça fonctionne vraiment. 

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