Témoignage #1
Cet article a été initialement publié en février 2021, dans le cadre du projet « Autisme, l’Aventure Intérieure », mené par Natacha, Nathalie et moi-même.

« La société exige de moi, sirène solitaire du fond des mers, d’apprendre à voler dans les airs comme un oiseau. Je ne peux pas. »

Ourse a 45 ans, elle est autiste, musicienne, elle tricote de la maille en tant qu’artisan, et anime la page « Le Spectre Noir », qui parle des difficultés d’être autiste, femme et racisée. Elle a accepté de répondre à nos questions.
Ecoutez les œuvres musicales de Kobutsune (Ourse) en cliquant sur l’image.
Qu’est-ce que la fatigue pour toi ?
La fatigue est quotidienne. Je suis une lève-tôt, incapable de faire une grasse matinée. Je suis tous les jours fatiguée en fin de matinée, avec un pic important entre midi et 14h.
La surcharge sensorielle prend le dessus : mes oreilles bourdonnent, je deviens confuse ainsi que mes pensées. Je commence à bégayer, je deviens beaucoup plus maladroite avec des pertes d’équilibre. Et soit je deviens mutique et ne fais que pleurer, soit je tempête car je ne sais plus comment dire que ça ne va plus.
Quel est l’impact de la fatigue sur ta vie ?
J’ai renoncé il y a un moment à une partie de mon travail. Dans la maille, il faut entretenir un carnet d’adresses, assister aux dîners mondains, avec leurs propres codes. C’est usant. J’ai renoncé aux concerts : il me faut deux jours au moins pour récupérer, et la musique demande aussi du réseautage. Un enfer !
Je me contente de composer chez moi et de soumettre mon travail en synchronisation à l’image, via le label sur lequel j’ai signé, ou mon éditeur de musiques pour la tv.
Je suis en cours de diagnostic d’une maladie du tissu conjonctif type SED, qui explique mes douleurs et ma fatigue chronique, mes anévrismes, mon endométriose et mon adénomiose (je ne peux pas rester assise longtemps sur une chaise, c’est douloureux, donc épuisant), mes grossesses très compliquées, mes entorses à répétition, mes déboires dermatologiques, etc.
Ces problèmes isolent, je n’ai pas envie d’expliquer pourquoi je peux pas aller au resto ou dîner chez des amis (ça arrive encore mais j’accepte rarement).
Qu’est-ce qui pourrait t’aider à améliorer ta qualité de vie face à la fatigue ?
J’ai toujours trouvé des parades pour masquer mon grand besoin d’être seule, de compter (mes mailles ou mes temps), même dans le domaine professionnel. J’ai souvent réussi à travailler chez moi, à mon rythme, de façon très ritualisée. Les pauses ont lieu à la même heure, chaque jour.
Mon mari sait prévenir mes crises et les anticipe. Heureusement, il est très compréhensif, et ne se déleste pas des tâches ménagères et de l’éducation des enfants. Il est normalement très impliqué dans la vie quotidienne du foyer. Il est mon plus grand soutien. Nous nous sommes connus avant mon diagnostic. Il m’a soutenue dans mes démarches et s’est adapté.
« Ce monde est trop bruyant, trop odorant, trop validiste… On ne comprend pas quand je dis que je suis fatiguée, on croit à une fatigue physique qui passera après une bonne nuit de sommeil »
J’ai débuté fin 2019 une formation réservée aux TSA dans l’informatique qui s’est révélée être un cauchemar pour moi. A 700 kms de chez moi, de ma famille, de mes repères et rituels, je me suis retrouvée propulsée dans une école bruyante avec beaucoup trop de stimuli tout au long de la journée.
Deux heures au moins de transports (métro/bus/tram parfois) quotidiens. Le reste du temps dans un Afpa, avec le supplice du self, des toilettes communes, de l’inconfort de la chambre d’étudiante et du bruit permanent. Ceci m’a naturellement menée à un burnout dont j’essaye difficilement de me remettre.

Etant hypersensible, hyper anxieuse, mes émotions sont aussi un immense facteur de fatigue. Ce sont des choses non prises en compte, ce monde est trop bruyant trop odorant, trop validiste… On ne comprend pas quand je dis que je suis fatiguée, on croit à une fatigue physique qui passera après une bonne nuit de sommeil – qu’est-ce que c’est, d’ailleurs, une bonne nuit de sommeil ?
J’ai essuyé un refus de la MDPH quant à l’AAH (je suis mariée) : ils estiment que je peux trouver un emploi et travailler.
Oui, c’est vrai, mais pas à moyen ou long terme. D’arrêts de travail en démissions, c’est une dépression en filigrane qui s’esquisse, et une fatigue de plus en plus difficile à surmonter qui s’installe.
« Le sentiment d’incapacité, d’inutilité favorise les pensées sombres et suicidaires. La société exige de moi, sirène solitaire du fond des mers, d’apprendre à voler dans les airs comme un oiseau. Je ne peux pas. »
Il faut qu’on arrête aussi ce distingo entre asperger et autres autistes, parce que ça minimise nos difficultés, et qu’on galère à avoir des aides matérielles et humaines.
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La musique d’ourse est très apaisante, bonne chance à vous adelphes. C’est important de parler de la fatigue cognitive.
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