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Handicap et inspiration porn : Dans le sport, « sois inspirante et tais toi » – témoignage.

portrait de profil d'une jeune femme souriante en bonnet de bain avec des lunettes de plongée sur le front

Ton handicap ne te définit pas. Combien de fois ai-je entendu cette phrase, adressée aux personnes handies, la plupart du temps par des personnes valides. En réalité, lorsqu’on est handi.e, ce qui nous définit bien malgré nous, c’est le regard que la société nous accorde. On a beau tout faire pour s’en défendre, c’est dans ces cases qu’il faut entrer, et malheur à celleux qui se rebiffent.

Chez les valides, deux courants très répandus : le misérabilisme et l’inspiration porn. Tu les a forcément croisés. Si on ne nous regarde pas d’un œil larmoyant tant notre situation est dramatique, c’est parce qu’on nous trouve inspirant.es. Ce n’est pas pour autant qu’on va nous proposer un environnement accessible. Pour t’en parler, je laisse la parole à Cécile*, handie sportive à risque de forme grave de Covid.


10 ans. Ça a l’air tout rose comme ça sur la photo. Pour autant, je m’en souviendrai toujours comme le jour où on m’a empêché de concourir au 100m 4 nages, 50 brasse et 50 papillon, la spécialité pour laquelle j’ai été quintuple championne de France.

au premier plan, trois personnes souriantes en fin de compétition. celle du milieu est Cécile, une médaille autour du cou, les deux autres l'entourent, l'une d'elle tient Cécile par la taille et porte également une médaille. A l'arrière plan, la piscine décorée de fanions pour la compétition.
Au centre, Cécile*. Les visages ont été modifiés pour préserver l’anonymat.

La raison ? J’ai voulu nager chez les valides pour me booster et puis ben… pourquoi pas, merde !

Mais chez les valides, il est stipulé noir sur blanc dans le règlement que le nageur, au virage et à l’arrivée en brasse et en papillon, doit toucher le mur avec les DEUX mains.

On m’a prévenue juste avant le début des épreuves, devant tout mon club, que je pouvais nager, MAIS que je serai disqualifiée, ne pouvant pas respecter le règlement. Ben oui, je suis amputée du bras… Duchnock.

Mes temps n’ont pas été comptabilisés. Et certaines personnes, ce jour là, ont même défendu les officiels devant tout le monde – toujours, c’est important pour une bonne humiliation – en adoptant une posture qui se voulait raisonnable, parce que « C’est tout à fait normal, puisque tu ne respectes pas le règlement ». Sinon c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres, ma bonne dame !

En soi, c’est pas bien grave, c’était juste un loisir. Loisir qui était malgré tout important pour moi. Mais bon, il n’y avait pas mort d’homme.

Mais quand ce genre de discrimination – avec systématiquement les mêmes schémas – se reproduit des dizaines et des dizaines de fois, que ce soit pour un accès à un logement décent, pour des aménagements pendant les études, pour un accès à un stage et même un emploi, pour accéder à une formation qui te permettra d’exercer le métier de tes rêves… ça brise. Ça détruit à petit feu.

Alors on tient. On garde le sourire. On sauve les apparences. Mais intérieurement, la colère monte. Pourtant, on continue à se battre en se disant « Je vais y arriver ».

Sauf que.

Quand ces discriminations prennent une ampleur phénoménale à cause de l’arrivée du virus dont on ne doit pas prononcer le nom, t’empêchant tout simplement d’accéder aux lieux clos en toute sécurité, donc à la citoyenneté en général, de bénéficier de soins en toute sécurité – je ne cesserai jamais de le dire, c’est tout simplement scandaleux – et qu’on t’explique en adoptant une posture raisonnable que « C’est tout à fait normal puisque blablabla », on craque. On explose.

Ce sont systématiquement les mêmes schémas. Invariablement les mêmes.

Quand on parle du validisme, ce n’est pas juste un effet de mode quelconque. C’est une vraie oppression qu’il faut combattre. Ça détruit à petit feu. Dans le meilleur des cas.

Et cessez de croire que, puisqu’on est handis, on est des privilégiés, on a beaucoup d’argent, on bénéficie de toutes les aides dont on aurait besoin d’un simple claquement de doigts, ou je ne sais quoi encore. C’est faux. Archi faux.

Le Validisme Tue. Sois Inspirante Et Tais Toi !

*Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat.


Un simulacre d’inclusion, assortie d’une photo souvenir, pour faire oublier la punition raisonnable. Parce qu’en tant qu’handie, Cécile devait manifestement rester à sa place, ou payer le prix. Pour de nombreuses personnes, la pandémie toujours en cours n’a rien arrangé. Une majeure partie de l’espace public leur est aujourd’hui inaccessible en sécurité. Alors oui, il faut continuer à le dire sans relâche : le validisme tue.

image fond multicolore, une photo de femmes trisomique regardant l'objectif les mains dans les poches. en dessous, un slogan "que ça te plaise ou pas, on militera".

Ce qui nous définit, nous, handi.es, c’est, comme toute personne, l’ensemble de ce que l’on est, vit et pense. Dont le handicap. Que ça te plaise ou pas. Et si tu veux que le handicap nous définisse moins, ce n’est pas notre mentalité qu’il faut faire évoluer, mais celle d’une société toute entière qui entretient le paradoxe de nous choisir la place qui l’arrange, sans nous en accorder.

Notre fonction n’est ni d’être une source d’inspiration ni d’entretenir la fibre charitable des citoyen.nes lambda. Tant qu’on considèrera les handi.es comme un réservoir de fantasmes pour valides, tant qu’on choisira pour elleux ce qui les définit, tant qu’on décidera à leur place de leur droit à exister ou pas dans l’espace commun, notre société restera validiste. Et on continuera de militer.

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2 réflexions au sujet de “Handicap et inspiration porn : Dans le sport, « sois inspirante et tais toi » – témoignage.”

  1. Merci pour cet article !

    Pour avoir fait de la natation en compétition, et donc connaissant très bien la règle citée sur les virages, je trouve inacceptable (mais pas surprenant malheureusement) qu’il n’y ait pas d’exceptions prévues dans ce genre de cas. Du coup on entretient une ségrégation tout ça pour une règle qui pourrait être adaptée ?

    Bon je suis déjà en colère avec cette première histoire mais la suite sur le covid, en tant que personne à covid long qui a vu sa vie s’étriquer tout autour de soi ces quatre dernières années et qui a l’impression que c’est encore en train de se réduire plus, je bouillonne. Force.

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