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TSA : Et si on questionnait la vision binaire du genre dans l’autisme?

Au commencement de l’autisme était l’homme : un trouble découvert par des scientifiques masculins, qui ne concerne que des garçons. Encore aujourd’hui, dans la culture populaire, comme malheureusement, chez bien trop de médecins, l’autisme ne se conjugue presque qu’au masculin. Le militantisme a récemment permis de faire mieux connaître ce qu’on appelle « l’autisme au féminin » . Les questions de genre dans l’autisme méritent elles cependant d’être traitées sous le prisme d’une vision binaire ?

Disclaimer : avant d’aller plus loin, je tiens à rappeler que l’autisme n’est pas un totem d’immunité contre la connerie. Il y a bien évidemment des autistes sexistes, misogynes, racistes, homophobes, transphobes, TERF et j’en passe. Je ne m’étale pas sur le sujet, c’est mauvais pour ma peau, et sans doute pour la tienne.


Ce que l’histoire retient de l’autisme : Deux hommes, Kanner et asperger, repèrent conjointement un trouble chez des garçons, et font connaître sa symptomatologie comme exclusivement masculine. Ce n’est pourtant pas tout à fait exact. Au tout début de l’autisme, on retrouve déjà quelques profils féminins, certes moins affirmés, et moins documentés. Cela suffira à les faire disparaître de la culture populaire, mais aussi médicale, entraînant sans doute une multitude de situations d’errance médicale et de faux diagnostics.

Historique de la recherche et des hypothèses sur les femmes autistes, Autisme Au Féminin, Adeline Lacroix

Alors que plusieurs biographies de femmes autistes paraissent dès les années 80*, il faut attendre les années 2000/2010 pour que surgisse un intérêt scientifique pour l’expression des TSA chez les femmes. Les études sur le sujet deviennent plus nombreuses, des données plus précises permettent d’affiner non seulement l’accès au diagnostic pour cette population mais également les prises en charges proposées, notamment psychologiques.


Cela ne suffit pas, et de loin, à changer l’opinion publique et les représentations. C’est la mobilisation de femmes autistes qui permet de sensibiliser. On pense évidemment à Julie Dachez avec La Différence Invisible. Beaucoup d’autres femmes s’activent par des moyens divers : les témoignages, l’investissement associatif, les livres, les support de sensibilisation, les études scientifiques proposées par les femmes autistes informent, et permettent un meilleur accès au parcours diagnostic. C’est grâce à toutes ces actions que je suis aujourd’hui diagnostiquée, que de nombreuses femmes autistes le sont aussi.

L’autisme « au féminin » présenterait en effet des caractéristiques spécifiques. Les femmes autistes auraient de meilleurs compétences sociales et un meilleur masking : comprendre que les signes sont moins flagrants, et que les femmes parviennent mieux (donc pas si bien) à se rapprocher en apparence d’une norme attendue, que les hommes autistes. Elles présentent des compétences verbales et non verbales meilleures, des intérêts spécifiques aux sujets souvent plus « passe partout ».


Par rapport à la population générale, il existe chez les personnes autistes une faible identification au genre. De nombreuses femmes autistes (de l’ordre de plus de 4/10) ne se reconnaissant pas dans leur genre, et en proportion moindre (autour de 2/10) le même phénomène existe chez les hommes autistes. Plus subtilement, une part importante des personnes autistes qui se reconnaissent dans leur genre n’exprime pas une forte adhésion aux attentes sociales qui y correspondent.

Mon adhésion au genre féminin est plutôt fluctuante. Petite, je rêvais d’être un garçon. J’avais des projets de métiers « masculins », et je préférais de loin grimper aux arbres que jouer à la poupée. En grandissant, j’ai découvert que les « atouts féminins » pouvaient être un moyen de se faire des amis (en fait non, mais j’y ai cru), sans parvenir à me montrer assez féminine pour ne pas être régulièrement désignée comme garçon manqué. J’ai ensuite appris, en mimant mes collègues, à féminiser mon apparence. Je pense être plus ou moins en paix avec mon genre aujourd’hui, depuis que j‘ai décidé que j’en avais pas grand chose à faire de correspondre aux stéréotypes associés.

Drapeau LGBTQIA+, drapeau trans, et panneau avec un picto à la fois homme et femme avec le texte "we don't care"

Je prête une attention relativement faible au genre ou à l’orientation sexuelle des personnes avec qui j’échange, et je rate la plupart des codes sociaux liés. Je suis toujours épatée de découvrir (souvent à mes dépens) à quel point les personnes neurotypiques agissent selon un code omniprésent de séduction homme/femme qui me dépasse complètement. J’ai retrouvé les mêmes interrogations, plus ou moins marquées, chez la majeure partie des autistes avec qui j’ai pu échanger : le genre n’est pas une préoccupation majeure s’il n’entrave pas les objectifs ou les intérêts. Il le devient lorsqu’il est question d’intérêt spécifique lié, de militantisme, d’égalité, et de défense des droits humains.


Cette faible identification amène une fluidité du genre et de l’orientation sexuelle nettement supérieure dans la population autiste. On retrouve, comparé à la population générale, plus d’attraction homosexuelle (en particulier chez les femmes), de population asexuelle (entre 5 et 20% contre 1% en population générale), non binaire ou encore polyamoureuse chez les personnes autistes. La dysphorie de genre et la transsexualité sont également plus présentes. Il y aurait 4 à 5 fois plus d’identités de genre autres que cisgenre parmi les personnes autistes. Une hypothèse psychosociologique postule que la moindre adhésion des personnes autistes aux normes sociales facilite des dentifications plus diversifiées.

Ainsi, il y a une prévalence importante de personnes autistes chez les personnes se présentant en clinique avec une demande en rapport avec la dysphorie de genre et la transition, mais également une part de patientèle qui découvre son appartenance au spectre autistique en entamant des démarches liées au genre. Il est complexe aujourd’hui de proposer une estimation chiffrée, au vu du peu d’études s’intéressant au sujet et des divergences dans leurs résultats. Toutefois, les personnes concernées, à la fois transgenres et autistes, se rassemblent et s’expriment de plus en plus, confirmant l’existence d’un spectre de genre et de sexualités large et fluide dans l’autisme.


L’évolution de la perception de l’autisme a permis à de nombreuses femmes en errance médicale d’accéder à un diagnostic correspondant à leurs difficultés. C’est une avancée indéniable mais insuffisante. Le manque de professionnel·les constitue un premier barrage au diagnostic, donc à la meilleure compréhension de soi, ainsi qu’aux prises en charges qui en découlent.

Toutefois, cette vision binaire centrée sur le genre ne semble pas toujours correspondre aux réalités de terrain. Le récit des personnes en errance diagnostique montre un masking parfois très soutenu chez les hommes autistes, peut-être encore plus présent chez les plus jeunes, cherchant (sans trop y parvenir) à correspondre aux normes actuelles de l’homme à la fois dynamique, affable, hypersociable et disruptif de notre belle start’up nation. (pas déso).

De même, il est difficile de « classer » les spécificités autistiques de manière binaire dès lors qu’on s’adresse à des personnes présentant une fluidité de genre marquée. La faible identification au genre n’est elle pas de nature à diluer dans la population autistes des expressions variées de l’autisme, qui ne pourraient qu’en partie se répartir selon un genre déterminé ?

Les personnes concernées à la fois par l’autisme et par une identité de genre ou une orientation sexuelle hors cisgenrisme sont à l’intersection de plusieurs discriminations. Si elles appartiennent de plus à des groupes sociaux classiquement opprimés (par le racisme, le sexisme, la grossophobie, en un mot la connerie…), elles cumulent plus encore les risques de marginalisation, de rejet social, et de manque d’accès aux droits et au soin en général. Les possibles difficultés de santé mentale qui en résultent sont un danger réel, pouvant mener jusqu’au suicide.

Il n’est pas ici question de remettre en cause les différentes expressions du TSA selon le genre, mais de considérer cette problématique sous un angle plus global.


Je profite d’avoir ton attention pour t’interpeller sur un sujet nécessaire.

Les personnes trans sont actuellement en danger. Le harcèlement et la remise en cause des droits d’une minorité concerne toutes les minorités.

Merci de lire et d’écouter les personnes concernées et surtout de faire ton possible (c’est à dire tout ton possible) pour lutter avec elleux. Je te laisse avec cette lecture (clique sur la flèche pour continuer) :

Si tu as besoin de la version texte clique ici


Autisme au féminin, approches historiques et scientifiques, regards cliniques, Adeline LACROIX

https://embrace-autism.com/autism-and-asexuality/#Asexuality_in_autistics_vs_neurotypicals

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0165178123001270

Identité de genre des personnes autistes (wikipédia)

https://en.wikipedia.org/wiki/Devon_Price


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