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Pour penser l’aide à mourir dans la soi-disant dignité, il faut d’abord garantir une vie digne

les mots "the end." ont écrit sur une feuille insérée dans une machine à écrire ancienne.
Oui, j’aurais pu m’arrêter là, l’essentiel est dit.

Un projet de loi sur l’aide à mourir a été présenté le 10 avril en Conseil des ministres. Depuis, de nombreuses personnes handicapées s’expriment en sa défaveur. Il y a quelques jours, on m’a demandé mon avis personnel. J’ai donc rédigé quelques lignes pour Brian, du Podcast Normand. Un peu trop de lignes, voici donc le texte complet.

Imagine, t’as entre 30 et 40 ans, t’es pas très vieux/vieille. Depuis que t’es gosse t’as un handicap, mais OSEF, la vie est belle, les gens sont ok avec ça, l’école c’était plutôt cool, d’ailleurs en grandissant t’as fait les études que t’avais choisies, au taf on a trouvé des solutions, tu fais partie de l’équipe de foot de ton village, comme d’autres handi·es. Quand tu galères, ton toubib t’écoute, tu as accès à des soins de qualité, à des professionnel·es qualifiés et efficaces. Y’a franchement des jours pas faciles mais globalement, t’as ta place, tes loisirs, des potes, tu t’épanouis, tu t’éclates à élever tes deux gosses, t’as pas particulièrement peur de l’avenir, même si tu sais que tu vas devoir dealer avec une santé limite,  et plus de souffrance que la norme. On te demande si tu veux mourir, tu réponds quoi ?

Une femme de dos contemple un paysage lumineux et verdoyant.

Imagine, t’as entre 30 et 40 ans, t’es pas très vieille/vieux. Depuis que t’es gosse t’as un handicap, on te répète que tu sers pas à grand chose, que t’iras pas bien loin, que tu coûtes cher. A l’école tu t’es fait harceler tous les jours, les profs t’ont claqué au fond de la classe en disant que ta place c’était ailleurs, t’as pas pu apprendre vraiment. Maintenant t’es à l’ESAT, un endroit où tu bosses comme un chien pour une paye de misère, où t’as aucun autre droit que celui de fermer ta gueule. Quand t’as dit que t’aimerais avoir des gosses, on s’est moqué de toi, on t’a dit que tu saurais pas les élever, et que les gens comme toi c’est mieux qu’iels restent seuls. Tes conditions de travail pourries empirent ton handicap, t’as dû arrêter le foot, mais tu peux pas te soigner : c’est trop cher, plus rien n’est remboursé. De toute façon y’a pas de médecin dans ton coin, et pas de transports pour aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. T’as mal tous les jours, t’es seul, t’as aucun pouvoir sur ta vie, aucun espoir d’amélioration, tu te sens inutile, ta famille te regarde avec pitié, tu as des idées noires, de plus en plus noires. On te demande si tu veux mourir, tu réponds quoi ?

La même femme, de dos, regarde une route de bitume noir cernés d'arbres mort. Elle a une prothèse au bras.

Dans l’aide à mourir dans la dignité, le problème n’est pas l’aide à mourir. Le problème c’est l’absence d’aide à vivre dans la dignité. Le problème c’est une société qui cultive le déni de handicap (pourtant plus de 7 millions de personnes en France) en refusant obstinément de s’adapter à quelque besoin que ce soit. Le problème c’est l’absence d’accessibilité. Le problème c’est l’état délabré du système de santé. Le problème c’est le monde du travail qui rejette les plus fragiles et broie les autres. Le problème c’est le simulacre d’école inclusive hanté par des milliers de profs validistes (NotAllProfs, on sait). Le problème c’est l’AAH en dessous du seuil de pauvreté (liste non exhaustive).

Un homme jeune et valide en plein déni de handicap, dit "handi-quoi ? Vieux ? J'ai pas compris" en fond, paris sou le soleil et la tour Effel.
Jean Valide fait un déni de handicap, comment l’aider ?

Le problème n’est pas l’aide à mourir dans la dignité. Si une personne, bénéficiant de conditions optimales de soin, de ressources financières et d’inclusion, estime être trop en souffrance pour vivre, sans espoir de jours meilleurs, il est légitime qu’elle puisse choisir de mourir dans la dignité. Ces conditions optimales sont non seulement rarissimes, mais aussi rendues de plus en plus inaccessibles (merci Manu). Dans les conditions de vie aujourd’hui accordées aux personnes handicapées dans notre société, l’aide à mourir confine à l’eugénisme

Dans une société qui traite ses personnes âgées comme des déchets, ne leur garantissant que peu d’accès aux soins, la plupart du temps dans des délais hallucinants, dans une société qui ferme l’une après l’autre ses unités de soins palliatifs (comme d’autres services hospitaliers), dans une société qui néglige la santé mentale sous prétexte d’âge, l’aide à mourir confine encore à l’eugénisme.


Rédiger un texte pour faire prendre conscience de problématiques qui devraient révolter tout un peuple, alors qu’elles ne le préoccupent pas le moins du monde, montre déjà en quoi l’aide à mourir dans une soi-disant dignité est un problème. L’ironie de la situation, c’est que le handicap est la seule minorité ouverte à toustes : chacun·e peut devenir handicapé·e un jour, et chacun·e le deviendra, s’iel vit assez longtemps pour. Et tout le monde s’en fout.

A lire aussi sur le sujet : La chronique de Céline Extenso chez Politis, et le communiqué d’HandiSocial.

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1 réflexion au sujet de “Pour penser l’aide à mourir dans la soi-disant dignité, il faut d’abord garantir une vie digne”

  1. magnifiquement écrit !
    merci petite loutre 😍

    (À un moment, j’ai failli lire : « t’Es un handicap »(pour la « société ») … Je crois que c’est ce que me dictait mon ressenti 😉)

    Aimé par 1 personne

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